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Pierre-Crignasse

Atak & Fil

Traduit de l'allemand par Maud Qamar

96 pages — 21 × 26,5 cm
quadrichromie, couverture cartonnée, dos toilé —
collection Amphigouri

 

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ISBN 9782350650548
24 €
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1. Enfants terribles, histoires drôles et images cocasses

Tous les enfants héros de la version traditionnelle sont là, rejoints par Justin, un petit dernier à l’image des enfants d’aujourd’hui. Ce sont des personnages populaires, des comptines qu’ont entendues et lues des générations d’enfants et que les adultes savourent encore avec plaisir. FIL et ATAK conservent tous les éléments mais se laissent fréquemment aller à enrichir ou prolonger les récits.

Pierre Crignasse
Le Pierre-Crignasse original, celui de 1846, est cloué au pilori. Son refus de se couper les cheveux et les ongles le place aux limites de la bestialité et au ban de la société. «Pouah, vilain Pierre-Crignasse!», voilà ce qu’on lui crie. Ses cheveux hirsutes et ses terribles ongles en font un étrange pendant d’un Jésus-Christ enfant. Dans la version de Fil et ATAK, il reste décrié mais il nous apostrophe. Plus âgé et vêtu d’un treillis, il assume, revendique sa marginalité et sa différence. Il nous interpelle pour faire de nous les bénéficiaires de sa condition. Il suggère en somme qu’il n’y a pas de lumière sans ombre : «Je suis le co- de votre sinus.»

Friederich
Friederich c’est le sale gosse qui arrache les ailes des insectes et bat les chiens errants. Mordu, il se retrouve au lit avec une amère potion à avaler. Le chien, lui, est à table pour un délicieux repas. C’est maintenant lui qui tient le fouet. En mettant dans la bouche de la mère une référence à Œdipe, FIL fait un malicieux clin d’oeil à Freud, grand amateur du Struwwelpeter, qui un demi-siècle après la première édition ouvrira à la science un territoire nouveau : l’inconscient.
P’tite Pauline n’arrive pas à s’empêcher de jouer avec les allumettes. Elle finira en petit tas de cendres. Les auteurs conservent la trame et la tragique conclusion. Ils ajoutent aux rêves dorés de la petite fille, un désir d’amour pour Franz, «un garçon bien propret». Les deux chatons qui
l’accompagnent et tentent de la dissuader deviennent des alter-egos des auteurs qu’on va retrouver au fil du livre.

Le moutard noir
Dans le Struwwelpeter d’Hoffman, trois enfants se moquent d’un garçon noir. Saint-Nicolas les trempe dans l’encre afin de les rendre plus noirs encore et de leur faire comprendre leur méchanceté. En 2011, les enfants jusqu’au bout restent récalcitrants. Transformés en noirs plus noirs que noirs, ils se targuent d’avoir encore sur le petit maure un avantage, l’accessoire qui les identifie : un drapeau, un bretzel, un cerceau. Le saint magicien donneur de leçons doit baisser les bras : «Ils sont trop sots» et les trois sales gosses triomphent, majeur tendu. Il est vrai que dans l’original, malgré leur triste sort, les enfants gardaient le sourire et emboitait gaiement les pas du négrillon. Ce n’est pas la dernière fois qu’apparaîtra, notamment dans la bande dessinée, un personnage blanc changé en noir à l’issue d’une mésaventure impliquant de l’encre ou de la suie!

Le féroce chasseur
Cette comptine est la seule qui ne met pas en scène un enfant mais un adulte chasseur et un petit lapin. Conformément au schème du monde à l’envers, c’est l’animal qui prend le fusil et l’homme qui se retrouve chassé. La comptine d’Hoffmann s’achevait alors sur un coup de feu du lapin qui, évité par le chasseur, vient frapper la cuiller de sa femme alors qu’elle prend le thé. Dans Pierre-Crignasse, le chasseur, sous les yeux de sa femme excédée, se rue sur Edeltraut la grosse pucelle, pensant s’abriter en plongeant au fond d’un puits. C’est le petit lapin tire la leçon : «Les grands débloquent». Ici, ce sont les adultes qui sont montrés du doigt, leur manque de jugement, leur jalousie, leur aveuglement... Comme toujours, le motif du monde a l’envers contient un germe révolutionnaire, mais surtout il fait tourner à plein régime le moteur de l’imaginaire.

Konrad
Konrad ne veut pas cesser de sucer ses pouces. Sa mère affirme qu’un tailleur viendra les lui couper s’il s’obstine. Dès qu’elle a le dos tourné, il s’y remet. Le tailleur arrive aussitôt et met la menace à exécution : les pouces sont coupés sans pitié. Au petit garçon dépité qui ornait tristement la page d’Hoffman, ATAK a ajouté de sympathiques pouces coupés qui littéralement s’en vont en courant sur leurs petits pieds. Il a en tête et prend au mot la réponse de Hans dans la version originale, quand sa mère lui demande où sont sont ses pouces : «Hélas, il sont partis!»

Hans
Hans marche toujours la tête en l’air. Qu’il croise un chien et le voilà à terre, qu’il marche sur un quai et le voilà à l’eau. Il est non seulement trempé mais son cartable s’en va en nageant. La comptine originale d’Hoffman s’arrêtait là. FIL et ATAK vont plus loin. Des indiens sauvages, instruits par le contenu du cartable, envahissent l’Allemagne et asservissent les allemands. Cette critique du colonialisme est fantasque et rieuse, mais elle ne manque pas de portée puisqu’elle invite à se penser dans la situation du colonisé ou de l’esclave. Le registre du Monde à l’envers est à nouveau déployé. En creux, il est aussi affirmé tout le savoir que peut contenir un cartable.

Kaspar
Enfant dodu et glouton, Kaspar se prend un jour à refuser sa soupe. Il la refusera chaque jour jusqu’à la mort. C’est peut-être la comptine la plus fidèle. ATAK reprend fidèlement les images d’Hoffmann, agrémentées toujours des petits visiteurs et des décors qu’il affectionne.

Philipp
Philipp se balance sur sa chaise au grand dam de ses parents. Il finit par terre en ayant renversé sur lui tout ce qui se trouvait à table. La fidélité à l’original l’emporte. On retrouve notamment la mère muette, qui ne dit rien mais n’en pense pas moins.

Robert
Robert marche sous la pluie avec un parapluie et refuse de se mettre à l’abri. Sous l’effet d’un vent violent, il s’envole au firmament. L’histoire originale de Robert restait en suspens et elle terminait sur une envolée presque mystique. C’est dans un décor des Mille et une nuits que Fil et Atak la prolongent. ATAK donne à Robert l’allure d’un Tintin qui finit calife à se promener nonchalamment à dos d’éléphant.

Justin
Justin est un nouveau venu, une création de Fil C’est un enfant d’aujourd’hui, qui regarde la télé, joue aux jeux vidéo mais n’oublie pas pour autant ses amis. La tonalité est radicalement différente. Justin est un garçon sans histoire qui sera récompensé à Noël par le cadeau dont il rêvait. Graphiquement le traitement est également tout autre. Fidèle à son goût pour les citations et le pastiche, ATAK y adopte la manière de l’américain Chris Ware. Si le texte de Fil cite directement une célèbre console de jeux, ATAK nous emmène sur une toute autre piste que reconnaîtront les lecteurs les plus férus du renouveau de la bande dessinée indépendante dans les années 90. Sa «X-BOX» évoque en effet la collection 2W où l’éditeur suisse Bülb comix a réuni
de nombreux auteurs au sein de précieux petits coffrets.