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Hic sunt Leones

Frédéric Coché

40 pages — 21 × 26,5 cm
quadrichromie — couverture
cartonnée brut — collection
Amphigouri
— coédition avec 
Le Signe noir des éditions Rackham

 

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ISBN 9782350650258
18 €

Frédéric Coché, sur Hic sunt Leones

Quel est votre parcours artistique et dans quel cadre avez-vous commencé à travailler avec le FRMK ?

J’ai rencontré le FRMK (Fréon, à l’époque), alors que j’étais encore étudiant à l’institut Saint-Luc, à Bruxelles où j’étudiais la bande dessinée. Fréon organisait une grande exposition de bande dessinée indépendante à Bruxelles - Autarcic Comix, et ils ont fait le tour des écoles d’arts pour repérer de nouveaux talents.

Un court récit a alors été exposé, puis publié dans Frigobox. J’ai continué mes études aux Beaux-arts de Nancy, où je pensais surtout à travailler ma peinture. J’ai finalement fait beaucoup de gravure : dans le cadre d’une résidence autour de Bruxelles 2000 à laquelle Fréon m’a invité ; Hortus Sanitatis en est sorti, Ars simia Naturae l’année suivante aux éditions l’Œil du serpent, puis encore un autre recueil d’eaux fortes, que je n’ai pas publié. Un an après la fin de mes études j’ai fait Vie et Mort du Héros Triomphante.

On retrouve de nombreux canons de la peinture et de la gravure dans votre travail. Quelles sont vos influences ?

J’aime l’art, et comme tout artiste, je me réfère et me situe dans sa longue et fascinante histoire. Mes référents vont être ancrés dans la renaissance, ou chez les gothiques flamands, David, Ingres, etcaetera... Mais aussi dans l’art contemporain, comme avec Broodthaers, Gasiorowski ou même quelqu’un de plus jeune comme Jari Silomäki.

L’autre point est une imagerie hors du champ de l’art mais référée au passé : j’envisage mes récits comme des contes. Pour fonctionner, un conte doit venir du passé: «Il était une fois…» inaugure toujours ce type de récit... D’où des personnages médiévaux, une guerre des tranchées ou un camp de concentration. Mes grands-parents m’ont raconté autant de contes que de souvenirs sur la Seconde Guerre Mondiale. La gestapo m’a fait faire autant de cauchemars que les histoires d’ogres et de loups garous. Une autre chose importante qui dicte mon choix d’images est que pour un artiste, il faut avoir conscience que le travail se projette hors du temps. Duchamp a produit très peu de ready-made : La roue de bicyclette sur un tabouret, L’urinoir ou Le porte bouteille sont certes issus de l’ère industrielle, mais ils font partie de ces rares objets, soigneusement choisi par Duchamp, qui ne sont pas soumis à la mode. On peut dire la même chose de tout autre artiste important, comme Jean Hélion, ou Broodthaers.

Que signifie Hic Sunt Leones ?

Hic Sunt Leones : ici sont les lions. C’est une indication que l’on trouve sur les vieilles cartes, dans les zones blanches, encore inexplorées. Les explorateurs n’en sont pas revenus, ici, il y a des lions.

Le choix du latin est dû au fait que mes livres s’inscrivent dans un jeu de références, et que ces références ont tendance à remonter aux origines des premiers livres imprimés, comme pour Hortus Sanitatis (la première publication date de 1491), ou à d’antiques problématiques fondatrices du monde de l’art (Ars simia Naturae).

Dans quel cadre a été conçu votre livre ?

En 2005 j’ai été lauréat d’une bourse du Conseil Général de la Moselle. C’était une bourse pour une résidence à Berlin. Le projet était de faire un récit de voyage, cela a donné le livre Hic sunt Leones

Hic Sunt Leones nous fait découvrir votre travail à la peinture à l’huile, alors que nous ne connaissions que vos gravures sur métal : peignez-vous depuis longtemps ?

Oui, je peins autant que je grave. Hormis dans quelques publications dans des collectifs d’outre-atlantique : Bête Noire, Diamond Comics, ou encore dans le collectif français Grand Hotel Orbis mes peintures sont restées jusqu’à présent dans la sphère des centres d’art et des galeries. Cela dit, pour moi, l’enjeu était encore autre dans ce livre : il s’agit surtout de l’incursion du texte. Mes précédents livres sont de pures images, et le travail de narration porte sur l’interaction entre ces images. La présence du texte, à la fois comme texte et comme image (son poids, sa présence, son avancée ou son recul dans la hiérarchie et le rythme de la page), la lecture, la rythmique qu’un texte impose, m’ont demandé un travail énorme. Je ne suis pas issu du monde littéraire, mais de l’image. Ce fut un travail minutieux et pénible, mais il me semble qu’il est réussi, si j’en juge à la présentation et lecture du livre qui a eu lieu dans le cadre du festival de poésie contemporaine de Lyon en mars, "La poésie/nuit".

Où se situe la trame narrative de ce récit ?

J’ai composé ce livre comme étant un récit de voyage. Ou plutôt sur ce qu’est un récit de voyage : un travail de mémoire, une évocation de ce qu’un dépaysement provoque chez le narrateur. C’est donc un travail de réflexion sur ce qu’est la mémoire dans un récit : on écrème et choisit ce qui mérite une mise en narration ou pas. En général, ce sont des expériences fortes, donc plutôt des incidents qui marquent notre mémoire. J’ai travaillé sur ce que ce voyage a fait renaître en moi comme souvenirs (en tant qu’image et en tant que texte), plutôt que de raconter les souvenirs de ce voyage. Où ma mémoire a été stimulée : le voyage, le train, l’infinie forêt prussienne autour de Berlin, les terrains vagues. Des images me venaient, très liées à des images de la guerre, mais aussi aux planches panoptiques de Warburg. D’autres à des légendes : la visite du mémorial de l’Holocauste m’a fait pensé à l’histoire du tombeau d’Icare, par exemple. Berlin est une ville de mémoire.

Entre nécessité de ne pas oublier l’horreur d’il y a bientôt trois quarts de siècle et l’interrogation sur l’impact au présent d’un souvenir coupable. Toute la politique culturelle allemande est lovée autour de la tragédie qu’implique le souvenir. C’est du coup très présent au quotidien. L’ambiguïté de valeurs comme l’héroïsme et l’esprit d’aventure, et même du beau, qui sont désormais liées à leur culte par les nazis est bien sûr présente dans le livre.

Plus précisément, comment envisagez-vous la narration dans le cadre de vos travaux ?

Comme je l’ai déjà dit, je travaille l’image, les liens entre les images. J’explore diverses manières de les lier dans une narration. J’exploite donc l’analogie, l’image comme écran/souvenir (une image qui en appelle une autre, toujours absente/présente via le souvenir). L’aspect décousu comparé à une bande dessinée du type Hergé/Franquin qui reste un standard narratif de nos jours (format de l’album, nombre de page, présence du héros, texte dans une bulle, etcaetera) est du au fait que le lecteur veut parfois, par habitude, lire avec les mauvaises clés de lecture. Si on lit de la poésie comme un roman policier, on trouvera forcément la poésie décevante (« Je n’ai rien compris, on ne sais même pas qui est le meurtrier à la fin »). Bien sûr, la réciproque est vraie. Cela ne veut en aucun cas dire que la lecture d’un genre est plus aisée que celle d’un autre !

Le fait qu’Hortus Sanitatis parle de Bruxelles et Hic Sunt Leones de Berlin (en partie, bien sûr) interroge : que peut représenter pour vous la construction d’un récit sur la ville ?

Le point commun est que dans les deux cas, il s’agit d’une forme autobiographique. Les lieux évoqués dans Hortus Sanitatis sont repérables dans Bruxelles, mes amis peuvent même reconnaître qui est derrière les masques. Pour Hic sunt Leones, c’est autre chose. Il s’agit de mes souvenirs, et uniquement de ceux-ci. Il n’y a donc pas d’ancrage dans le réel, dans une imagerie de Berlin.

J’essaie surtout de varier les approches dans ma construction d’un récit. Chacun présente une variation, et pour qu’une variation soit possible, il faut bien sûr des points communs.